1820 - André, victime de la violence conjugale
- Thierry Bégué
- 29 mars 2020
- 6 min de lecture

Chers lecteurs, quelques précisions avant de débuter la lecture du récit.
1) Cette histoire est réelle et les personnages ont véritablement existés. Le hasard aura voulu que les trois femmes de ce récit aient le même prénom et que deux d’entre-elles portent le même nom de famille. Refusant de changer les prénoms et dans un souci de rendre la lecture plus compréhensible, j’ai conservé les vrais prénoms en indiquant les noms d’épouses.
Pour mieux saisir les interactions familiales voici leurs liens de parentés :
- André ROUFFIANDIS, la victime et mari de Marie BLANQUER épouse ROUFFIANDIS
- Marie BLANQUER épouse ROUFFIANDIS, sœur de Jacques BLANQUER
- Jacques BLANQUER, mari de Marie ROUSSE épouse BLANQUER
- Marie VILLE est une voisine de Marie ROUSSE épouse BLANQUER
2) Une autre remarque me parait nécessaire à apporter.
Les citations des divers personnages sont quelques fois difficilement compréhensible pour un lecteur du XXème siècle. Il faut avouer que notre syntaxe à évoluer en 200 ans mais il me parait important de préciser que la langue maternelle de ces personnes était le catalan et que les témoignages a été consignés en français. Voici autant de raisons qui expliquent notre difficulté à saisir quelques fois l’intention de leurs déclarations. J’ai préféré malgré tout, les rapporter tel quelles apparaissent dans les pièces officielles de l’enquête en utilisant des caractères italiques pour les retranscrire.
***
Ce lundi 13 mars 1820 vers 9h00 (7h00, selon l’actuelle heure estivale), à Mosset, Marie BLANQUER accompagnée de Marie VILLE, cherche son beau frère André ROUFFIANDIS. Il a disparu depuis la veille… Elles quittent la place de l’église pour emprunter le chemin de la Porteille (actuelle route du col de Jau). Elles passent entre le cimetière à droite et le précipice de l’Embaussa-Rossa[1], puis longent le petit ravin à gauche où coule le ruisseau de la Porteille aujourd’hui presque entièrement busé. Elles décident de descendre le long du ruisseau qui s’enfonce quelques fois dans une tranchée creusée au fil des ans et qui atteint par endroits, les quatre mètres de profondeur. « Peut-être y serait-il tombé ? »
Marie VILLE est devant. Ses yeux balayent les environs en restant attentive aux endroits où elle doit poser ses pieds… Une forme inhabituelle attire son attention… Qu’est-ce donc ? Marie pousse un cri terrible ! Elle sera entendue par les habitants des environs. Marie a été surprise par le visage sans vie du corps d’André ROUFFIANDIS. Il est étendu sur le dos, presque deux mètres en contre bas, en travers du talweg où peu d’eaux s’écoulent…
Ses jambes sont jointes. Un de ses sabots est planté par le talon dans le sol meuble qui borde le ruisseau. Ses poings, dont un est couvert par un linge, sont serrés. Un de ses coudes est coincé sous son dos.
Marie VILLE, comme beaucoup d’habitants de Mosset connait les tensions qui couvent au sein de la famille BLANQUER/ROUFFIANDIS. Elle accuse rapidement Marie BLANQUER et les siens d’avoir tué ce pauvre homme…
Elle se défend :« Je veux rester ici où sont survenus mes malheurs et mes peines. Je suis consolée de mourir. », avant d’ajouter à propos de son mari comme pour le défendre par anticipation des soupçons qui pèseront sur lui : « Ah ! Mon Dieu ! Nous serons plus d'un qui serons dans la peine ; mais ce qui me console c'est que mon mari n'est pas sorti hier au soir. »
Le maire et son adjoint arrivent pour constater à leur tour le décès. Puis, eux aussi conscients des relations tendues au sein de cette famille, décident de mener quelques investigations et se rendent chez Marie ROUFFIANDIS.
Marie ne fait que crier et se lamenter à chaque question posée. Le maire et son adjoint ne sont pas dupes… Marie ne pleure pas un instant son mari… Et alors qu’elle affirme que son mari a passé la nuit dans son lit, le maire et son adjoint constatent que le lit n’a pas été défait !
Peu de temps après, le substitut du procureur et le juge d’instruction, les gendarmes de Prades sont au bord du ruisseau de la Porteille. L’enquête officielle commence, il s’agit bien d’un meurtre maquillé en accident. Non ! André n’est pas mort des suites d’une chute accidentelle au fond du ravin ! André a été tué d’un coup de canne confectionné en bois de poirier. Cette canne est encore sur les lieux et ses dimensions correspondent précisément aux traces du coup encore visible sur la tête de la victime. On déshabille le cadavre. Aucune autre marque n’est mise à jour. Le coup mortel est bien le coup porté à la tête.
Il est clair pour les enquêteurs que le vol n’est pas le mobile ; on vient de retrouver 17 pièces de cinq centimes dans sa poche.
L’épouse de la victime sera arrêtée le lendemain après l’enterrement de son mari. C’est entre deux gendarmes qu’elle rejoindra à pieds, Prades après avoir traversé sous les regards humiliants des habitants, les environs de Molitg et de Catllar.
Que s’est-il donc passé ? Comment la violence conjugale a-t-elle engendré la mort du mari ?
Marie et André vivaient Carrer de Santa Magdelene.
André, 53 ans était apprécié des habitants. Bon, d’accord ! Il fréquentait beaucoup les cabarets et il n’était pas très vaillant. Il demandait souvent aux uns et aux autres quelques pièces. Son frère, veuf depuis deux mois était le chirurgien de Mosset.
Marie, 54 ans, veuve depuis 13 ans, ne mesurait qu’un mètre et trente-huit centimètres. Mais ce petit bout de femme avait la réputation d’être une méchante personne. On la trouvait souvent en compagnie de son frère Jacques BLANQUER pour assurer les travaux agricoles qu’André négligeait, préférant aider son propre frère chirurgien.
Depuis plus de deux années, la vie privée de Marie et d’André n’avait pas de secrets pour les voisins de ce quartier aux rues très étroites et aux maisons agglutinées. C’était connu de tous ; les querelles étaient quotidiennes. Le motif était toujours le même : l’argent ! Les biens familiaux étaient souvent accaparés par André et ses passe-temps aux cabarets ou engouffrés par ses dettes. Mais pourtant, ce pauvre homme était vraiment gentil ! Un jour, les voisins l’avaient recueilli alors qu’il était assis sur la première marche devant la porte. Marie l’avait mis dehors !
Les voisins sont formels. La veille du meurtre, le 12 mars vers 7h00 du soir, l’écho d’une nouvelle querelle avait porté les cris plaintifs d’André dans la rue. « Aïe, Aïe ! » alors que matin même Marie criait « Je te tuerai ou je te ferai tuer par mon frère. »
André avait répondu qu’il allait rentrer tard. « Je vais abreuver les bœufs de mon frère et je prendrai le repas chez lui. »
« Non ! tu souperas ici ! » avait-elle répondu.
André, toujours très gentil, avait encore fini par céder. Il rentrera pour le repas du soir, vers 6h00. C’est la dernière fois que les voisins le verront.
Aux alentours de l’heure du repas du soir, le dimanche 12 mars, M. SARDA frappa à la porte de la famille BLANQUER. « Ma fille peut-elle passer la veillée chez vous avec votre fils ? » C’était une habitude depuis un certain temps, mais le père SARDA préférait renouveler sa demande chaque fois. Ce jour-là, c’est un refus que lui signifia Jacques BLANQUER. Il avait beaucoup travaillé aujourd’hui et il souhaitait se coucher tôt.
Pourtant on le trouvera dehors vers 9h15, quelques fois écoutant à la porte de la maison du chirurgien, quelque fois rodant près de chez sa sœur. Mais Jacques niera. Il dira aux enquêteurs que « ce soir du 12 mars, je ne suis pas sorti de la maison sauf une fois pour faire mes besoins derrière la maison ».
Ce sont les tentatives de subordination des témoins, les déclarations du propre fils de Jacques et divers témoignages concordants qui conduiront à l’arrestation de Jacques BLANQUER un mois après le mandat d’arrêt de sa sœur Marie ROUFFIANDIS. Les deux accusés crieront qu’ils sont innocents jusqu’au bout.
Le 12 et 13 août 1820, se déroula à Perpignan, le procès de ce crime perpétré au sein d’une cellule familiale composante du microcosme mossetan.
En 1806, c’était sous la pression populaire que Jacques BLANQUER, un homme violent et illettré, échappait à la justice après l’assassinat des gardes privés. En 1820, c’est la même pression populaire, qui livrera cet homme et sa sœur à l’échafaud !
Sources : www.histoiredemosset.fr – Jean PARES
photo : la maison où habitait Jacques BLANQUER à Mosset
[1] A cet endroit, en 1653 durant une épidémie de peste, les habitants de Mosset, n’ayant plus le temps et les moyens d’enterrer leurs défunts, jetaient les cadavres dans ce précipice. Le prêtre en exercice à l’époque annonce un nombre important de cadavres (aux alentours de 500) qui auraient été jetés sans les cérémonies habituelles, après avoir été tirés avec un crochet.
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