L’abbé Gélis, l’assassinat non-élucidé d’un prêtre
- Thierry Bégué
- 17 mai 2020
- 4 min de lecture

Nous sommes le lundi 1er novembre 1897 et plus précisément à Coustaussa dans l’ancien comté carolingien du Razès qui avait pour capitale l’oppidum de Redae (Rennes-le-Château).
Antoine GELIS est le curé de la paroisse. Âgé de 70 ans, il est en poste depuis 40 années. Il est presque midi et personne n’a vu le prêtre. Les volets du presbytère sont toujours clos… Ce n’est pas normal !
Le prêtre est un homme très secret et extrêmement méfiant. Dans ce village où règne la confiance, il est le seul à verrouiller sa porte. Il est le seul à maintenir les volets fermés la nuit y compris pendant les nuits chaudes de l’été. Il a même installé une clochette pour le prévenir de toutes ouvertures de la porte ! Et comme si tout ceci ne suffisait pas, il n’ouvrait jamais sans qu’on lui ait délivré le mot de passe… Cloitré dans son presbytère, le vieux curé laissait s’écouler les journées. Mais là, ce n’est pas normal, les volets ne doivent pas être fermés à cette heure.
Ses neveux et ses nièces s’occupaient de lui pour le ménage, l’approvisionnement et les repas. Inquiet, un des neveux vient frapper à la porte… personne ! Elle n’est même pas verrouillée… Il entre. Ses yeux ont du mal à s’habituer à l’obscurité. Il franchit le seuil de la cuisine. Il appelle son oncle. Il n’obtient pas d’autres réponses que le silence. A tâtons, il s’avance encore de quelques pas. Ses pieds butent contre une masse inerte. Il recule pour se diriger vers la fenêtre et ouvrir les volets. Il se retourne… Le corps du prêtre est étendu sur le sol au milieu d’une immense flaque de sang. C’est en courant qu’il se précipite vers la sortie pour vomir dans la ruelle étroite, la main droite appuyée contre la bâtisse…
Le maire est appelé. Il fait fermer le presbytère et envoie quérir la maréchaussée de Couiza.
Quelques heures après, les premières constations seront effectuées par le juge de paix PUGENS et le parquet de Limoux :
Le prêtre couché dans une mare de sang a les mains jointes sur sa poitrine comme un gisant. La soutane est largement souillée. La montre du prêtre est brisée et les aiguilles sont figées à minuit et 15 minutes. Le haut de la nuque porte la trace de quatorze coups. Le crâne est fracturé et la cervelle apparaît. Certains coups ont été portés avec un objet contondant et d’autres avec un objet tranchant. Le plafond est taché de sang, cependant la cuisine est entièrement rangée et nettoyée. On découvre un paquet de feuilles à cigarettes presque intact de la marque non vendue dans le département « Le Tzar ». Et alors que GELIS n’est pas fumeur et déteste que l’on fume en sa présence, une odeur de tabac imprègne la pièce. A proximité des fauteuils devant le foyer, deux bouteilles sont entamées : une de Banyuls et une autre de Porto. Il traîne sur la table un bout de papier sur lequel est inscrit « Viva Angelina ». Quelques tiroirs sont ouverts laissant apparaître près de 800 francs en pièces d’or et un document codé. A l’étage, la serrure du sac de voyage est forcée et on notera la présence de deux gouttes de sang à côté du sac. Les nièces sont formelles ; les documents qu’il contenait ont disparu.
Dans les jours qui suivront, la frontière avec l’Espagne sera contrôlée par la gendarmerie de Perpignan et d’autres militaires seront répartis sur les routes de l’Aude. « On se donne les moyens » !
Après l’autopsie et l’enquête, un scénario est esquissé : le prêtre très méfiant connaissait son assassin sinon, il n’aurait pas ouvert. L’illustre visiteur a été « reçu comme un maître », autorisé à fumer et à déguster Banyuls et Porto. Le prêtre aura passé un certain temps installé dans les fauteuils à converser avec son visiteur qui devait être un autre prêtre puisque ses seuls amis étaient ecclésiastiques. Le visiteur s’est levé, a saisi les pincettes à feu pour frapper le prêtre qui cherche à s’échapper. Le visiteur s’empare d’une hache et continuer à frapper sur l’arrière de sa tête jusqu’à ce qu’il s’effondre. Le meurtrier faisant preuve d’une intelligence et d’un sang froid remarquable, va nettoyer toute la cuisine pour faire disparaître toutes traces de lutte et de projections de sang. Alors que l’autopsie précise la mort entre 3 et 4 heures du matin, le visiteur aura la présence d’esprit de briser la montre en bloquant les aiguilles à minuit 15. Puis méthodiquement, il fouillera la maison sans tenir compte des sommes qu’il pouvait dérober, se concentrant uniquement sur des documents avant de quitter les lieux sans attirer l’attention des voisins dans cette ruelle où les maisons sont toutes agglutinées.
Mais des éléments viendront perturber l’enquête. Le document codé fini par livrer son secret : l’emplacement de plusieurs trésors cachés et dispersés dans la maison. Le total des sommes retrouvées par la justice est de 13.000 francs soit de quoi vivre pendant presque 20 années. De plus, le curé de Trèbes, interrogé sur ses relations avec GELIS finira par déclarer à la justice que la victime lui confiait 1000 francs par an depuis 3 ans et que ces sommes étaient investies dans des obligations du chemin de fer. Comment un prêtre qui recevait 900 francs par an et qui en dépensait 700 sur la même période, pouvait-il détenir une somme pareille ? Comment ses ressources étaient-elles justifiées ?
Le mystère s’épaississait de plus en plus. Durant un temps on accusera un neveu désigné par le voisinage à cause des incessantes demandes d'argent qu’il adressait à son oncle. Mais la rumeur populaire se trompait… cette nuit là il était dans un village voisin, dans la maison de son fils et aux cotés de sa belle-fille pour accueillir un nouvel enfant.
L’enquête n’ira pas plus loin et le mystère restera entier…
Aujourd’hui sur la tombe de GELIS, un texte gravé sur une pierre tombale penchée, confirme encore aux quelques visiteurs de cet ancien cimetière, que le prêtre a été assassiné :
« Ici repose le corps de l’abbé Antoine GELIS Antoine, assassiné dans son presbytère à l’âge de 70 ans dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1897. Priez pour lui ! »
Thierry Bégué – Un bout de chemin
Photo : ruines du château de Coustaussa (11)
Sources :
Courrier de l’Aude – 1897
www.rennes-le-chateau-archives.com
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