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Nohèdes - 1874 : l'affaire du remonteur de l'horloge

  • Photo du rédacteur: Thierry Bégué
    Thierry Bégué
  • 20 avr. 2020
  • 5 min de lecture


Ce dimanche de février 1874, une partie de la communauté nohèdoise s’était rassemblée dans la petite chapelle de Saint Martin pour assister à la messe de l’abbé MORIS.

La vieille chapelle n’avait pas encore subi les transformations et extensions de la fin du 19ème siècle. A cette époque, pour accéder à l’église, il fallait depuis la place du village, s’engager sur la rue principale, l’actuelle rue de l’église, sur quelques dizaines de mètres, avant de passer sous le conjurator et emprunter l’escalier de pierres qui menait au portail en plein cintre, centré sur le mur sud. Cette église, depuis sa construction au 12ème siècle avait déjà subi de nombreuses modifications[1]. Ainsi une chapelle dédiée à St Gaudérique avait été creusée dans le mur nord et une chapelle dédiée à Marie avait été bâtie sur le mur sud pour assurer la liaison avec la sacristie et au-delà le presbytère.

Un appartement, appelé le « Fort » avait été élevé sur la voûte de l’église lui ôtant à jamais son style d’origine…

Il avait neigé dans la nuit mais ce matin on pouvait apercevoir les étoiles. Le vent descendant du Roc Nègre s’infiltrait dans les maisons, passant entre les huisseries, remontant les cages d’escaliers pour atteindre des âtres sans chaleur, aux flammes sans vigueur.


Quelques fidèles serrés les uns contre les autres, enveloppés dans des couvertures de laine, expiraient un air qui se transformait en fumée. Mais pour rien au monde, ils n’auraient laissé leurs places. C’est avec la plus profonde foi en leur Sauveur qu’ils accomplissaient leurs devoirs de « bon chrétien ». Priant, récitant et chantant au son de l’harmonium, ils vivaient la cérémonie qui s’écoulait quand soudain, leurs âmes figées dans des sphères spirituelles revinrent s’écraser dans l’instant présent. Des bruits sourds et les sons de voix provenaient de la pièce située sur la voûte de l’église… La nef entière faisait maintenant l’écho de mouvements… Le prêtre, après avoir levé plusieurs fois ses yeux vers le ciel portait maintenant son regard vers le maire Bonaventure ESCANYER debout au deuxième rang. Les deux hommes s’étaient compris sans un mot. Des enfants dans le Fort… Ils étaient en train de remonter l’horloge ! Le jeune maire de 25 ans, et le prêtre du même âge, laissant l’auditoire et leurs yeux braquées vers la voûte, se précipitèrent vers l’extérieur. Contournant le pâté de maisons, en revenant sur la place, ils aperçurent Mme FUNDA, la femme du remonteur d’horloge.

- Tes enfants dérangent la messe en jouant dans le Fort !

La mère posa son seau au sol, près de la fontaine, pour suivre le prêtre qui soutane soulevée était précédé par le maire…


Les bruits cessèrent quand le maire se mit à crier. Le ton monta encore plus quand la mère vint défendre ses enfants. C’est le prêtre qui mit le feu aux poudres en interdisant fermement aux enfants de rentrer une nouvelle fois dans le Fort même pour remonter l’horloge à la place de leur père Dominique.

La mère vexée, refusant de baisser la tête, répondit que personne à part les parents, ne pouvait donner des ordres à ses enfants. Le prêtre se mit à hurler pour imposer son autorité… la mère continua de défendre sa progéniture… Puis excédée, elle lâcha « ni mes enfants, ni mon mari ne reviendront. D’ailleurs, je vous donne sa démission ! »

Le prêtre acta sur le champ et désigna un nouveau remonteur parmi un des habitants rassemblés par l’agitation. Le maire acquiesça. En quelques instants seulement, un nouveau remonteur d’horloge était nommé !

Il est des fois, où portées par les émotions, les paroles sortent plus vite que ce que nous l’aurions espéré. C’est exactement ce que Dominique FUNDA reprochait à son épouse après qu’elle l’ai démissionné de ses fonctions de remonteur d’horloge.

Comment rattraper le manque de tempérance de sa femme ? En plus un nouveau remonteur effectuait son travail… Des nuits passèrent. Dominique n’admettant toujours pas cette injuste spoliation, finit par décider au beau milieu d’une nuit d’avril qu’il ferait intervenir la mairie en sa faveur. N’est-il pas conseiller municipal de cette commune ?

Dans les jours qui suivirent, Dominique trouva une oreille attentive auprès de cinq conseillers municipaux sur les dix en exercice. Parmi les cinq, se trouvait le maire. Plus sa propre voix… il arrivait à la majorité nécessaire pour obtenir gain de cause.

Mais le curé, s’opposant au conseil municipal et quelque peu enfermé dans son orgueil bafoué par une femme, refusait de destituer le nouveau remonteur d’horloge. S’adressant à un des conseillers il déclara « qu’aucune autorité locale ne peut m’obliger à changer d’avis. Je suis responsable du bâtiment de l’église »

On lui avait répondu : « Si nous n’arrivons à vous convaincre, le préfet vous soumettra »

L’affaire prenait de l’ampleur !


Une délibération du conseil municipal datée du 15 mai acta la situation et fut expédiée au préfet. Sur cette délibération, on chargea un peu plus l’abbé, cet ennemi de la toute nouvelle IIIème République. On argumenta : « l’accès du Fort se fait par la voie publique et non par l’église », « le curé n’a pas le droit de nommer le remonteur d’horloge, la compétence appartient à l’autorité locale », « le nouveau remonteur d’horloge est un incapable », etc… Puis argument suprême : « le curé élevait dans le Fort, des pigeons qui déréglaient le mécanisme de l’horloge » !

Un mois après, le 14 juin 1874, l’Abbé MORIS, se devait de répondre une deuxième fois à un conseiller de la préfecture de Perpignan :

« […] Messieurs les six conseillers sont dans l’erreur volontaire.

[…] Les conseillers municipaux affirment que le remonteur actuel est incapable et que l’ex-remonteur de l’horloge est un savant. Je soutiens qu’ils peuvent tous les deux être rangés sur un pied d’égalité et les deux aussi peuvent s’acquitter de ladite tache que les enfants de l’ex-remonteur remplissaient passablement bien.

[…] bien ultérieurement à l’établissement de l’horloge, les pigeons avaient pris domicile dans cet appartement d’une longueur peut être de plus de trente mètres.

Et d’ailleurs auparavant comme toujours l’horloge va bon train et cela naturellement puisque l’horloge se trouvant couverte d’une boiserie et ne peut subir aucun dommage par le fait des pigeons.

C’est vraiment prodigieux que ce ne soit qu’au bout de plus de deux ans que les six conseillers municipaux se soient aperçus que les pigeons jusque-là inoffensifs soient devenus d’un seul coup si dangereux…

Monsieur, puis-je me permettre une remarque sur la délibération : sur les dix conseillers, six l’ont signée. Le sixième, celui qui a la voix prépondérante peut très bien être celui en faveur duquel la délibération est rédigée.

Monsieur Dominique FUNDA, ex-remonteur d’horloge est ou peut être le sixième signataire d’une délibération dans laquelle on trouve formulée une demande à effet de le réintégrer dans ses fonctions de remonteur d’horloge. Est-ce légal ?

Je suis avec une haute considération Monsieur …, votre très humble et très obéissant serviteur.

Signa l’Abbé MORIS. »

Je n’ai pas trouvé de suite à cette histoire si ce n’est que quelques personnages de cette importante affaire apparaîtront dans une autre nettement plus sordide qui se déroulera 7 ans plus tard…

Mais avant de vous quitter, je voulais vous préciser que depuis, l’horloge a été déplacée dans un clocher terminé en 1880 et que désormais les chauves-souris ont pris la place des pigeons dans l’ancien appartement que l’on nommait « le Fort de Nohèdes »…

Thierry Bégué

Un bout de chemin

Sources : ADPO66

[1] Son plan classique à nef unique et abside semi-circulaire voutée en cul-de-four avait été agrandit au fil des années pour accueillir une population toujours plus croissante.

 
 
 

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