1876, LE MEURTRE DE L’ABBE BLANQUÉ
- Thierry Bégué
- 12 juil. 2020
- 5 min de lecture

L’abbé BLANQUÉ, 36 ans est le Supérieur du Petit-Séminaire de Prades. Originaire de Saint-Pierre-dels-Forcats, entre Conflent et Cerdagne, l’abbé a été ordonné prêtre à l’âge de 23 ans et a pris, en 1874, la direction du Petit-Séminaire de Prades sur le point de fermer à cause d’un effectif qui avait dangereusement baissé de 160 à 60 élèves.
Le Petit-Séminaire installé dans les locaux de l’ancien couvent des Capucines[1] bâti au XVIème siècle n’arrivait pas à accroître le nombre d’élèves. A Prades, il y avait beaucoup plus de paysans que de bourgeois. Pourquoi continuer les études en apprenant le latin et les mathématiques si l’on n’a pas l’intention d’embrasser une carrière de fonctionnaire ou libérale ?
Pourtant, le lieu est propice à l’étude. C’est en tout cas ce qui était dit : « à une distance d’environ deux cents mètres de la ville, il présente un local spacieux assez heureusement distribué et qui, établi sur une élévation, est embelli par le charme de vues pittoresques qui s’offrent de toutes parts ; ainsi que par de vastes jardins qui environnent son enceinte ; il présente des promenades aussi gracieuses qu’agréables et les élèves ne peuvent jamais y être distraits par la présence des objets qui se succèdent et peuvent, au contraire y jouir toujours du calme que demande l’étude. On peut encore ajouter à ces avantages, la beauté du climat, la bonté des eaux, la salubrité de l’air et la facilité de se procurer toute espèce de comestible.»
Et dans ce cadre propice à l’étude, la journée commence tôt. A six heures (4 heures de notre horaire d’été), comme tous les jours, l’abbé BLANQUÉ dit la messe. Les prêtres-enseignants et les élèves mais aussi le personnel, sont tous là.
Jeudi 6 avril 1876
Vers 7h00, Madeleine BLANQUÉ, la sœur de l’abbé qui est à son service, monte dans sa chambre une tisane habituelle. En sortant, elle croisera l’abbé DANIS. Le Supérieur l’a convoqué, il veut qu’il vienne avec lui à Molitg. DANIS, ne pouvant pas se libérer sera chargé d’une autre mission : il rencontrera un avoué pradéen pour lui faire part de l’intention de BLANQUÉ, d’acquérir quelques actions de la société des hauts-fourneaux de Prades.
Vers 9h00, DANIS revient voir le Supérieur. Il croise un autre prêtre : l’abbé ROUFFIAGUES qui voulait également s’entretenir avec BLANQUÉ. Personne ne répond ? Tiens ! C’est inhabituel. Ils reviendront…
Vers 11h30, on alerte l’abbé VIDAL ; c’est le second dans la hiérarchie de l’Etablissement. Il entre dans l’appartement du Supérieur : le bureau et la chambre sont vides.
L’abbé VIDAL s’inquiète. Jamais BLANQUÉ ne reste autant de temps sans être aperçu et s’il était parti, il aurait prévenu. D’ailleurs, il n’a pas quitté l’école, son bréviaire est posé sur son bureau…
On passera toute la journée du vendredi 7, puis celle du samedi 8 à rechercher le prêtre. On commencera par l’établissement, la ville de Prades, puis Molitg, Taurinya, Vinça et les berges de la Têt. Tous, y compris les élèves fouilleront les alentours de Prades.
Dimanche 9 avril 1876
Sœur Rosalie, chargée du linge trouve sur la table de nuit du jardinier une chemise tachée de sang… Elle informe sœur Berthe qui alerte l’abbé VIDAL qui reviendra accompagné du juge et de M. De GELCEN, maire de Prades. Les soupçons se portent désormais sur Segundo ROLDAN Y MORALES…
Segundo a 23 ans, c’est un déserteur de l’armée régulière espagnole. Il a quitté son pays durant le siège de la Séo d’Urgell et s’est introduit en France en passant par Puigcerdà et Bourg-Madame. Recueilli à Ur par un notaire barcelonnais, il a ensuite été conduit vers Prades pour l’éloigner de la frontière. C’est l’abbé BLANQUÉ qui l’a pris sous son aile en lui offrant le logement, le couvert et un salaire mensuel de 30 francs en échange du travail qu’il effectuait sans les jardins et les potagers du Petit-Séminaire.
Les prêtres-enseignants n’appréciaient pas Segundo. Il était toujours dans les bars de la ville à boire de l’alcool avec des gens peu recommandables. Et cette affaire du dernier jour de l’année 1875 ! Les poules et les lapins volés ? Le responsable était vraisemblablement Segundo…
VIDAL, De GELCEN et le juge décident de continuer les investigations sans éveiller les soupçons du jardinier Segundo.
Lundi 10 avril 1876
On se débarrasse de Segundo qui accompagné de Jean PARES le menuisier, est envoyé à Ria à la recherche du Supérieur. Durant ce temps, on reprend des fouilles minutieuses à l’intérieur de l’Etablissement.
Le chien du pharmacien LAVAILL[2] est réputé pour son flair. Il marque l’emplacement d’un vielle cave en bordure du jardin où le sol est trempé. Sébastien, un jeune domestique, l’abbé GERALT et sœur Rosalie iront explorer la cave. Les deux hommes rentent. Sœur Rosalie reste à l’extérieur. Sébastien plante sa bêche pendant que GERALT tient une lampe pour éclairer la pièce. Le jeune domestique aura à peine travaillé deux ou trois minutes et voici que Sébastien et le prêtre poussent un cri en quittant la cave. La lampe tombe au sol. Sébastien tremble de frayeur.
Sœur Rosalie les interroge du regard… « C’est une main ! » répond GERALT « Il est là ! » avant que sa voix ne s’étrangle et que son index montre la cave.
Sœur Rosalie rentre dans la cave suivie par le prêtre qui rallume la lampe. Elle attrape la main, elle enlève la terre et dit « C’est la main d’un saint et d’un martyr ! »
Une heure après, vers 18h00, le gendarme TIXADOR, le juge et le docteur SERRADEILL sont présents pour attendre Segundo. A son arrivée, on lui montre le corps. Le médecin prend son pouls et place sa main sur le cœur du jardinier. Son pouls reste lent… pas d’émotion. Mais Segundo nie !
Vers 7h00, le gendarme TIXADOR et Segundo descendent la rue vers la prison. La foule est déjà là : « Assassin ! Traitre ! Pouilleux ! Espagnol ! A mort ! » On lui crache dessus. La foule haineuse le presse et l’entoure.
En arrivant en cellule, le gendarme dira au jeune prisonnier : « Vous avez été témoin de l’indignation publique, vous avez fait le péché. Il faut faire la pénitence. Avouez votre crime ! »
« Ce n’est pas moi ! » criera Segundo avant qu’un silence de quelques minutes précède des aveux présentant une version accidentelle.
Le corps de BLANQUÉ sera transporté dans sa chambre avant d’être autopsié le lendemain matin.
Le procès aura lieu les 26 et 27 juillet 1876 à Perpignan et établira comme mobile : le vol !
Le samedi 2 septembre, Segundo sera guillotiné à Perpignan, place de l’Arsenal.
Le commissaire Central, dans son rapport au maire de Perpignan, écrira :
« L’exécution de Segundo condamné à la peine capitale a eu effet ce matin… Toutes les dispositions que vous aviez édictées ont été observées. Segundo, soit inconscient, soit énergie, a été relativement impassible… La foule compacte sur le parcours de la prison aux Esplanades et qu’on peut estimer à 15.000 âmes a paru partout impressionnée et calme. Je sui heureux de vous dire que pas le moindre incident ne s’est produit. »
Thierry Bégué – Un bout de chemin
Source : « A mort, l’espagnol ! » de Anne HORMIERE, Françoise CAPDET et Geneviève PIQUEMAL – Edition du chiendent – Marcevol - 1983
Photo : Monument en l'honneur de l'abbé BLANQUÉ situé dans le cimetière de St Pierre dels Forcats (merci à Dominique MOLINIER pour m'avoir indiqué l'emplacement du monument)
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