top of page
Rechercher

L'histoire du meurtre des gardes d'AGUILAR racontée par le Pin de Mosset...

  • Photo du rédacteur: Thierry Bégué
    Thierry Bégué
  • 8 mars 2020
  • 7 min de lecture



Il y a des nuits où l’esprit libéré de toutes contraintes, peut vagabonder entre le monde des rêves et celui de la réalité. C’est au milieu de ces deux univers, dans cet espace sans matière que ma conscience s’engouffrait la nuit dernière en suivant une large et lente spirale descendante…

Au moment précis, où plus rien n’existe que l’instant présent, les fées du Mont Coronat apparurent !

Et comme à chaque fois, la plus jeune des fées s’adressa à moi. Elle m'expliqua, qu'un arbre sur la commune de Mosset avait remarqué mon esprit en recherche permanente de vestiges du passé. Il faut bien dire que je passe régulièrement jusqu’à six fois par jours devant lui. L'arbre avait donc décidé de me conter son histoire mais comme je ne comprends pas le langage des végétaux, il espérait utiliser les fées pour effectuer la traduction.

Maintenant devant les fées, je ne pouvais qu’ingérer ce que l'arbre voulait raconter… C'est la bouche ouverte que je me mis à écouter le début du récit…

Le pin de Mosset commença par se présenter. Sa graine apparut dans la forêt de pins sylvestres un printemps peu avant 1806. A cette époque-là les habitants de Mosset défrichaient illégalement cette partie de forêt pour reconstruire des maisons détruites par un incendie au village. Cette coupe était bien illégale. Les pauvres paysans le savaient. Mais comment faire autrement ? L’ancien seigneur de Mosset qui depuis la révolution ne détenait plus que des versants entiers de montagne, espérait tirer un maximum de profit de son héritage fortement amputé. Les habitants de leur côté, défendant un droit antérieur au tracé de la nouvelle frontière continuaient à user de l’espace et de ses ressources pour pouvoir survivre.

Le seigneur d'AGUILAR payait des gardes armés et une lutte de plus de 200 ans ressemblant quelques fois au jeu « du chat et de la souris » avait provoqué quelques tensions sans jamais générer la mort, jusqu’à ce jour.

Ce lundi 21 juillet 1806, est-ce le signe annonciateur d'un drame en préparation ? Il fait froid dans les montagnes entre Urbanya et Mosset.

Les deux gardes du seigneur AGUILAR sont sous les ordres de son représentant dans la vallée, le maire de Campôme, Nicolas LAGUERRE. Leur planning est chargé pour cette journée : ils iront marquer des arbres pour les charbonnières de la forge d'En-Haut, puis ils marqueront une devèze pour bien cantonner des troupeaux d’ovins et enfin ils surveilleront le secteur de Ladou (près de l’ancienne station de ski du col de Jau) pour repérer d’éventuelles coupes illégales de bois.

Gaudérique FABRE et Jean SERRAT ont respectivement 60 et 53 ans. Le premier habite à Mosset, il est né à Counozouls, le second est aussi un « gavatx », il est né à Mijanes, canton de Quérigut et réside sur Campôme.

Ce matin-là, les gardes sont bien couverts. Gaudérique est revêtu d’un pantalon blanc, d'une veste blanche, d'un gilet vert bouteille et de vieilles guêtres bleues, son compagnon est habillé d'un pantalon brun, d'une veste brune, d'un gilet en velours bleu et de bas de laine brune. Ils quittent ainsi le village, chacun étant armé d'un fusil qu’ils portaient en bandoulière. Plus jamais personne ne les reverra au village…

Vers 18h30, alors qu'ils patrouillaient, en s’approchant d’une vieille ruine, ils entendent du bruit, des coups d’outils sur le bois. Ils sont encore éloignés, mais ils reconnaissent déjà Etienne RADONDI. Ils s’approchent encore plus en remontant la pente… Gaudérique FABRE, un homme qui prend sa mission très au sérieux commence à bougonner « ah ses défricheurs, ils n’arrêteront donc jamais… blablabla ». Il n’est pas encore face à son interlocuteur que ses yeux sortent déjà de leurs orbites ; sa tension artérielle est très élevée ; son souffle est court… La colère est déjà à son maximum !

Jean est plus cool dirait-on aujourd’hui. Il est plus compréhensif, plus humain. La loi peut être transgressée si c’est pour la survie des habitants… mais il a toutefois un employeur le seigneur d’AGUILAR !

FABRE est déjà au contact de RADONDI qui s’explique « Je fais des sabots ! ». FABRE est fermé ; il refuse d’entendre d’autres explications. Encore des arbres abattus ! Le ton monte… Jacques BLANQUER plus haut sur la crête descend en courant pour porter assistance à son ami RADONDI. Gaudérique prend son fusil pour mettre en joue Jacques. Tout va très vite. Jacques attrape le fusil par le canon. Des cris et des insultes raisonnent dans la forêt. Les mules des paysans s’excitent. Etienne essaye de les tenir. Jean SERRA appelle au calme. Jacques finit par arracher le fusil des mains de Gaudérique et toujours en tenant le canon il frappe avec la crosse, la tête du garde qui s’écroule… Sans écouter la raison, la rage de Jacques fracasse le crâne du garde à coups de crosse.

Jacques reprend son souffle… Le silence s’installe le temps d’un clignement de paupières qui semble durer une éternité. La forêt témoin d’un crime violent reste muette, pas un seul chant d’oiseau, pas de vent dans les feuilles, pas le bruit d’un sanglier qui s’éloigne, rien, le silence absolu ! Jacques fonce vers Jean et lui assène un violent coup sur la tête. Jean comprend en roulant au sol, qu’il sera la prochaine victime. Ce n’est pas la peine de chercher à fuir. Il appelle à l’aide RADONDI qui se débat avec les mules. Il préfère affronter la mort en demandant l’autorisation de s’en remettre à Dieu un instant. Contre toute attente et peut-être parce qu’il était impossible, même au Diable lui-même de refuser cette dernière volonté à cet homme naturellement bon, Jacques lui laisse quelques instants pour murmurer un début de prière. La crosse rougie par le sang de Gaudérique vient fracasser à plusieurs reprises la tête du deuxième garde. RADONDI arrive enfin… Trop tard, Jean vient d’expirer !

- Malheureux qu’as-tu fait ? Il ne fallait pas donner la mort à ces gens-là !

- Tu devrais m’aider à les enterrer !

Etienne RADONDI refuse. Michel ALZEU, RESPAUT et SOLER arrivent en courant

- Qu’avez-vous fait ?

Pour aider le coupable qui finalement venait de libérer Mosset des bras armés de leur tortionnaire, le groupe décide de cacher les corps derrière la crête, sur la commune d’Urbanya, près du col de Torn dans un four à chaux à l’abandon. Ainsi pensent-ils bêtement, les soupçons iront vers les gens d’Urbanya…

Nicolas LAGUERRE avait l’habitude de donner à ses gardes un planning à la semaine, donc une semaine s’écoulera avant que LAGUERRE se rende à la gendarmerie de Prades. Une semaine de plus et la rumeur finiront par permettre à la maréchaussée de retrouver les corps des gardes privés.

Dans un premier temps les enquêteurs focaliseront leurs attentions sur les hommes qui avaient déjà été l’objet des procès-verbaux des gardes et à ceux qui avaient juré de se venger.

ALZEU, RESPAUT, RADONDI, SOLER, BLANQUER et BONARICH seront recherchés.

Seulement BLANQUER et BONARICH seront arrêtés puis acquittés par le jugement du 16 juin 1807 à Perpignan suite la pétition de soixante-seize habitants de Mosset jurant qu’ils avaient passé la journée du 21 juillet 1806 dans des lieux différant que la forêt de Ladou, en précisant qu’« originaires de notre commune, se sont toujours conduits exemplairement, en bonne vie et mœurs, et personne n'ayant jamais eu lieu de se plaindre d'eux »

Au cours de cette même année 1807, RESPAUT, RADONDI et SOLER qui se cachaient dans la montagne mossetanne avec la complicité des villageois finirent par être arrêtés. Ils furent reconnus coupables et condamnés à vingt années aux fers à Rochefort après avoir été exposé six heures, place de la Loge à Perpignan, attachés à un poteau sous un écriteau décrivant leurs crimes et leurs identités familiales.

Il est presque amusant de constater qu’un témoin DIRIGOY, cherchant à soutenir RADONDI en faisant un faux témoignage fut condamné à son tour, pour ce motif à vingt ans de fers à Rochefort.

Ces quatre mossetans ne reviendront jamais et mourront bien avant la fin de leurs peines, victimes des mauvaises conditions du bagne de Rochefort près de La Rochelle.

ALZEU, n’a jamais été retrouvé. Prévoyant, il vendit ses biens pour échapper à la réquisition qui accompagnait le jugement par contumace. Il semble bien que cet homme intelligent pris la juste mesure de ses erreurs. Avant de se séparer de son ami qui l’accompagnait vers l’exil en Espagne, il confia près de la chapelle Sant Esteve de Pomers, en dessus de Villerach, au pied du massif du Canigou : « Evite la mauvaise compagnie. Ne fais pas comme moi, que mon sort te serve d’exemple »

Il mourra dans son lit à Mosset en 1824 sans avoir profité de la prescription des vingt ans mais très probablement d’une amnistie à l’occasion de la restauration en 1815.

Finalement, six hommes mourront de la guerre entre AGUILAR et Mosset. Les familles des victimes et des condamnés se réconcilieront. La petite fille de Gaudérique épousera le neveu d’Etienne RADONDI. Le temps passe et panse les plaies dit-on souvent…

Mais que penser de Jacques BLANQUER ? Même s’il a été acquitté, Il finira la tête coupée par la guillotine à Perpignan… Pas pour l’assassinat des gardes ! Pour un autre meurtre, celui de son beau-frère !

Mais ça c’est une autre histoire me dit le pin de Mosset…

Avant de préciser que le conflit qui concernait Mosset et AGUILAR, trouva une solution en 1861 après la vente des forêts par l’ancien seigneur.

Alors que j’approche de la fin de mon récit, je m’aperçois que je n’ai pas terminé les présentions de mon interlocuteur le pin de Mosset. Pour être plus précis, il s’agit du pin qui est sur le clocher de l’église.

Ce petit pin de deux cents ans mesure moins de trois mètres. La petite graine arrivée au début du 19ème au moment des défrichements illégaux a pris racine dans un substrat d’une épaisseur de seulement 25 cm et sur à peine un mètre carré de matières, mais il est toujours là. En 1861 il mesurait 1,6 m, en 1900 2.10 m et il a été mesuré à 2,90 en l’an 2000. Presque un bonzaï !

Cet arbre est mon ami. Je le vois très souvent. Il m’a déjà apporté de nombreuses informations pour une autre histoire, celle du curé de Nohèdes qui venait visiter les parents de la jeune et belle institutrice nohèdoise. Mais ça c’est une autre histoire… une très longue histoire !


***

photo de droite : croix au col de Torn commémorant le meurtre des gardes

photo de gauche : le clocher de Mosset et son pin

sources : www.histoiredemosset.fr - Merci à Jean PARES

Merci encore de rester fidèle à ce blog et à la page FB "Un bout de chemin".

 
 
 

Comments


© 2018 par Thierry Bégué - @1boutdechemin 

  • Twitter Clean
  • Flickr Clean
bottom of page