La légende du Pape Lin
- Thierry Bégué
- 23 janv. 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 janv. 2020

Je débuterai par un clin d’œil à mon épouse. En effet, alors que je l’informais de mon intention de rédiger un article sur la légende du pape LIN, elle me surprit par cette brusque déclaration : « Oui ! il est connu pour être un pape sot ! ». J’ai mis un petit moment à comprendre qu’ironiquement, elle faisait une allusion à la marque bien connue de rouleaux de papiers très pratiques pour tout essuyer !
Ceci-dit, le pape Lin (en latin : Linus) serait le deuxième pape de Rome. Même si l’appellation « pape » n’est apparue qu’au IIIème siècle et même si sa mort en martyre de l’église primitive est contestée, c’est bien ce saint homme qui est reconnu comme le successeur de Saint Pierre l’apôtre du Christ. Il aurait effectué son pontificat de 67 à 76 et serait à l’origine de la tradition qui exigeait que les femmes aient la tête couverte durant les offices.
La bible fait référence à cet homme de foi dans la deuxième lettre que Saint Paul a écrite à Timothée (4 :21). L’histoire le rend contemporain de la destruction du temple de Jérusalem par l’armée romaine mais aussi parmi d’autres, des empereurs Néron et Vespasien.
Le journal pradéen plutôt anti clérical, le CANIGOU dans son numéro du 17 juillet 1880 conte la légende du pape LIN. J’ai préféré vous la rapporter telle qu’elle a été rédigée il y a près de 140 années. A vous chers lecteurs d’en apprécier la syntaxe…
Après que Saint Pierre fut mort, les personnes chargées de trouver son successeur étaient fort embarrassées ; une ancienne prophétie disait que le futur pape s’appelait Lley (Lin en français) et qu’on le trouverait mangeant sur une table de fer. Voilà donc ces personnes (aqueixa gent) en route en quête du futur pape ; poussées par une inspiration divine, elles se dirigèrent du côté du Conflent, en arrivant als Horts […] (commune de Serdinya), par un temps brumeux, elles entendirent une voix qui disait : Lley, Lley. Heureuses et ravies, elles se dirigèrent du côté d’où partait la voix et trouvèrent une pauvre femme qu’elles suivirent ; celle-ci allait porter son repas à son fils qui labourait non loin de là et que le brouillard empêchait d’apercevoir ; elle le rejoignit au moment où, arrivé au bout du sillon, il tournait la charrue ; il avait emporté deux reilles (socs), dont l’un était déposé au bout du champs, et quand sa mère lui donna sa pitance il la plaça, la terre étant humide, sur le second soc et se mit à manger.
Aussitôt les gens qui le cherchaient, reconnaissant en lui celui que désignait la prophétie, puisqu’il s’appelait Lley et qu’il mangeait sur une table de fer (le soc), s’avancèrent et lui annoncèrent son élévation au trône pontifical ; ils l’amenèrent à Rome où ils le firent instruire pour qu’il put devenir pape.
Un beau jour, la mère de Lin eût le désir de le revoir et elle s’achemina vers Rome. Elle était, naturellement, habillée et coiffée à la catalane ; arrivée à Rome, elle fit part aux personnes chez qui elle logeait de son intention de voir Saint-Père : « Mais vous n’y pensez, lui dirent celles-ci, voir le Saint-Père dans ce costume !!! On lui prêta alors des habits de dame, et elle alla se présenter au pape ; mais celui-ci ne la reconnut pas.
En vain lui disait-elle : « Lley, Lley, soun ta mare », le souverain pontife ne la reconnaissait pas d’avantage. Désolée la pauvre mère se décida de quitter Rome, mais elle voulut auparavant, une fois encore, voir son fils avant de partir ; elle reprit ses vêtements et alla parler au Saint-Père qui, cette fois, retrouva sous cette coiffe catalane sa mère chérie.
Admirez cet esprit du pape, etc. Lin retint sa mère à Rome où rien ne lui manqua. Mais cette femme fut prise du mal du pays et résolut de revoir son beau Roussillon, son délicieux Conflent, son cher Marcevol (NDLR: où elle était née) : elle quitta Rome et se dirigea vers Marcevol et, fatiguée, elle s’assit un moment pour se reposer, à quelques distances du moulin de Rhodez ; peu après ne tarda pas à arriver le meunier dont le cheval portait un sac de farine : « Mon brave homme, lui dit la mère du pape, je suis fatiguée, ne pourriez-vous pas me laisser monter un peu sur votre bête ? » Le bon meunier, après un moment d’hésitation, consentit et transporta la pauvre femme jusqu’au moulin. Mais en arrivant, il trouva la meunière qui, naturellement, le gronda fort et l’obligea à aller chercher la farine : le temps était mauvais, il pleuvait à torrents ; mais ô miracle ! le sac qui renfermait la farine n’était nullement mouillé. La mère de Saint Lin arriva donc à Marcevol où elle mourut quelques temps après.
Voila ma légende, vous en savez autant que moi, racontez la à vos lecteurs ; mais dîtes leur de faire comme moi, de croire sans hésitation aucune à ce que vous leur raconterez, et n’allez pas prétendre que Saint Lin, que d’aucuns disent être né à Oreilla (canton d’Olette), a vu le jour à Volterra en Toscane ; car, leur citant le Grand dictionnaire du dix-neuvième siècle, du regretté Pierre Larousse (tome X, mot Lin), vous pourriez leur dire : « les détails manquent sur l’origine de Saint Lin, et les historiens ecclésiastiques eux-mêmes n’ont pu nous renseigner sur son pontificat »
Conséquence, aujourd’hui que, plus que jamais, les opinions sont libres, il me plait à moi de croire que le pape Lin est né à Oreilla, que sa mère est enterrée à Marcevol, d’où elle était originaire, et je ne pense pas que cela vous contrarie ; si cela était, j’en serais au désespoir.
Sur ce, […] je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.
Thierry BÉGUÉ - « Un bout de chemin »
Journal Le CANIGOU du 17 janvier 1880.
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